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Txtex Etcheverry : « La bataille du climat se joue maintenant, si on la perd, on perd toutes les autres »

lundi 20 avril 2015

Entretient réalisé par REPORTERRE, le quotidien de l’écologie



13 avril 2015 / Entretien avec Txetx Etcheverry

Txtex Etcheverry : « La bataille du climat se joue maintenant, si on la perd, on perd toutes les autres »
Jean-Noël Etcheverry est un des animateurs de l’association écologiste Bizi et du mouvement Alternatiba. D’abord engagé dans les années 1970 dans le combat pour l’indépendance du Pays Basque, il est devenu syndicaliste et a découvert l’importance de l’écologie.

Avec Bizi, fondée en 2007 à Bayonne, il a monté une association écologique dynamique, alliant les interventions concrètes (et non-violentes) et la réflexion de fond. De Bizi est né le mouvement Alternatiba, qui organise des villages d’alternatives pour parer au changement climatique.

Reporterre - Le climat est au cœur de l’action de l’association Bizi. Comment le concept d’Alternatiba, villages d’alternatives au réchauffement climatique, est-il né ?

Txtex Etcheverry - Cela part d’une résignation générale après la conférence sur le climat de Copenhague en 2009. Un an après, tout le monde était passé à autre chose, les médias, la classe politique, l’ensemble de la société… Il était difficile de mobiliser et le contre-sommet de Cancun n’avait réuni que mille personnes, par exemple.

A ce moment, on nous disait qu’on pouvait mobiliser sur les gaz de schiste ou l’agriculture, mais qu’un mouvement construit sur le climat n’était pas possible. Pour nous, c’était une grande frustration car on avait vécu à fond la mobilisation de Copenhague.

On s’est demandé ce qu’il y avait eu de réel dans la prise de conscience qui avait précédé Copenhague et nous imprégnait encore, ce discours sur la menace centrale que représente le changement climatique pour l’avenir de l’humanité. La réflexion nous a fait comprendre qu’il ne fallait pas aborder le problème du climat comme problème, mais par les solutions. Les gens ne se sentent pas de prise sur le changement climatique, parce qu’il parait trop abstrait, immense et complexe, et d’autre part parce que les seules solutions envisagées jusqu’alors étaient l’accord de 200 chefs d’Etat.

Les gens se sentent impuissants. Alternatiba prend la question par l’autre bout : on ne dit plus qu’il faut attendre d’une grande réunion internationale la solution magique au réchauffement climatique. On dit qu’on peut faire plein de choses tout de suite, à partir des individus, des collectifs et des territoires.

Pourquoi faire du climat la mère de toutes les luttes écologistes ? Est-ce plus important que la biodiversité, par exemple ?

Le climat détermine tous les autres pans de la vie sur Terre, les conditions de guerre et de paix, les possibilités de maintenir une démocratie. Et la biodiversité ne résistera pas au changement climatique s’il s’aggrave encore. Tout le reste est conditionné par le climat.

Et puis, il y a une donnée particulière dans le climat, c’est le calendrier : on a dix ou quinze ans pour empêcher de passer à des seuils d’emballement irréversibles. Certes, en biodiversité, il y a aussi un calendrier pressant et on franchit des seuils, mais il y a des choses plus ou moins réversibles, on arrive à faire revivre des sols bétonnés et pollués…

En ce qui concerne le climat, une fois qu’on a franchi le seuil, c’est fini. Si l’on croit ce que nous disent les scientifiques, cette bataille est centrale. Si on la perd, on perd toutes les autres. Et cette bataille se joue maintenant.

Ce discours est-il audible par un large public ?

L’objectif est de mobiliser au-delà du cercle des gens convaincus. Car dans les mouvements militants, on fait souvent tout en petit cercle et on appelle ensuite la population à se joindre à l’événement. Alternatiba, c’est le contraire : on appelle les gens à venir d’entrée de jeu, et on construit avec eux.

Comment réunir des gens avec des niveaux de conscience et de politisation très différents ?

Il faut un concept éminemment pratique, afin que le maximum de gens puisse y trouver leur place, y compris des gens qui ne supportent pas les réunions ou qui ne vont jamais suivre un débat sur le changement climatique. Mais ces gens-là trouveront leur rôle en tant que cuisinier, électricien ou autre. C’est une manière d’organiser les choses : il ne faut surtout pas commencer par une discussion sur une charte pour le projet, parce que c’est le meilleur moyen de passer deux mois à s’écharper sur des point-virgules.

Il faut privilégier le pratico-pratique, avec des discussions sur la logistique, avec une première affiche pour communiquer, avant même le programme établi ou l’accord de la mairie. C’est le concret qui amène des gens nouveaux, alors qu’on ne les touchera jamais si on doit organiser six mois de réunion avant de lancer la machine.


Et puis, il faut démarcher selon des thématiques particulières. Si vous faites un espace recyclage par exemple, vous allez inviter des associations de couture ou de réparation qui n’ont a priori rien à voir avec l’écologie et le climat. Mais vous allez leur expliquer que leur activité est très bonne pour le climat. Et du coup, ils s’intègrent dans un événement dont l’enjeu central est le changement climatique, et les gens comprennent que leur pratique peut être liée à quelque chose qui lui donne plus de sens.

Certains reprochent à Alternatiba que son ouverture dilue sa substance radicale.

Il faut assumer les conséquences de l’ouverture aux autres ! Quand on fait un processus très large, avec beaucoup de personnes qui n’ont jamais milité, et avec des niveaux de conscience très inégaux, il peut y avoir beaucoup de contradictions. Cela va se gérer petit à petit, par la pratique de débat collectif.

Tout ne sera pas politiquement correct, et d’autres militants peuvent trouver qu’on ne va pas assez loin. Les polémiques autour d’Alternatiba nous reprochent de ne pas être assez anticapitaliste, d’avoir demandé des subventions à une mairie ou de frayer avec telle personne qui n’est pas recommandable...

Le contexte politique est cependant propice à des récupération dangereuses ou contre-productives. Comment éviter le piège de ce grand « confusionnisme » écologiste ?

Je me poserais ce genre de questions si j’étais un mouvement massif pesant sur la réalité. Aujourd’hui, la priorité est de peser sur les choses. Notre obsession est de toucher les gens non conscientisés, de créer des dynamiques de masse et un vrai rapport de force dans la société, de porter un autre discours, de mener des campagnes gagnantes. C’est ça qui doit nous guider en premier lieu et nous aider à mûrir. Si on attend d’avoir dépassé les contradictions et d’avoir la vision parfaite pour agir, on n’agira jamais.

S’il n’y avait pas Alternatiba, ce style de confusionnisme existerait de toute façon. Le gouvernement et les multinationales alimenteront quoi qu’il en soit les discours sur le nucléaire, sur les agrocarburants, sur la géo-ingénierie, etc. Avec Alternatiba, on va aller sur près de 180 territoires différents, à la rencontre de centaines de milliers de personnes. Et ce sera avec un discours clair sur les fausses solutions, avec des conférences sur ces questions.

« Ce n’est pas la conscience qui crée la pratique, mais la pratique qui crée la conscience » : vous mettez en œuvre l’adage de Saul Alinsky.

C’est par la lutte de terrain plutôt que par les grands discours que se constitue une identité : tu peux parler très bien d’écologie, d’anticapitalisme et de société idéale, ça ne t’amènera pas grand-monde. Par contre, si une Ligne à grande vitesse doit passer dans ton jardin... Il faut accepter que les gens viennent comme ils sont, au niveau de conscience qui est le leur.

C’est un véritable mal en France. Dès que des mouvements sont lancés, on leur tombe dessus avec une suspicion énorme. On les accuse de ne pas être assez ceci, ou de ne pas avoir fait cela. Et du coup, on casse ces mouvements avant même qu’ils connaissent le processus de maturation qui doit les faire évoluer.

Il y a vraiment un problème dans l’ensemble de la gauche française – et quand je dis gauche, je parle de la gauche sociale, la gauche syndicale, écologiste, altermondialiste, décroissante, libertaire… Je n’arrête pas d’entendre des polémiques entre les uns et les autres sur le niveau de pureté de décroissance, sur l’obscurantisme, sur une démarche pas encore assez écolo, etc. Les gens perdent une énergie terrible à alimenter ces polémiques au lieu de la consacrer à convaincre le reste de la population.

Vous vous dites « radicalo-pragmatique ». A Grenoble, Eric Piolle utilise la même formule. Est-ce la nouvelle ligne politique des écologistes ?

On se considère comme radicaux car on croit vraiment au slogan « changer le système pour ne pas changer le climat ». Il faut mettre autre chose en place que le capitalisme, la croissance et le productivisme si on veut rester dans les limites possibles de la Terre.

Mais on est pragmatiques car on a conscience du rapport de force. On ne parle pas de révolution, pour l’instant, on est incapables de la faire. Donc on lance des dynamiques qui permettent de créer des rapports de force favorables, d’être demain en capacité de gagner, même des petites batailles.

On ne monte jamais en haut d’une montagne d’une traite, mais en plusieurs étapes. Je me souviens d’une personne qui nous reprochait de défendre une politique cyclable à Bayonne, au prétexte qu’une fois acquise, elle profiterait à Decaux qui mettrait plein de vélos partout avec sa publicité. Mais avec ce raisonnement, les féministes auraient-elles dû batailler pour le droit à la contraception ? Parce qu’à la fin, c’est un grand laboratoire pharmaceutique qui récupère la mise.

La seule question pertinente de la radicalité est de savoir si elle change les rapports de force et si elle transforme la société. Il y a un déphasage, en France, entre le discours radical et l’action réelle. Il faut être à la fois dans la radicalité et la résistance, en puisant dans la désobéissance civile et l’action directe non-violente, et dans un travail large, qui formule des propositions parlant à la population et aux élus.

L’un n’empêche pas l’autre, au contraire : la force qu’on a pour nos dernières actions médiatiques, quand on va déverser des tonnes de charbon devant la Société Généraleou saisir des chaises à la banque HSBC, on la tire aussi de notre nombre. On a dans notre réseau beaucoup de gens très différents, ça nous donne une vraie légitimité et rend le travail plus compliqué pour les policiers ou les juges, qui ne peuvent pas nous traiter comme des voyous.

Face à l’Etat et sa répression, il faut allier l’action radicale et le soutien des masses. C’est tout l’intérêt de la stratégie non-violente. De plus, les actions radicales donnent une autre portée à notre travail de proposition, elles participent à la formation des gens qui rentrent chez nous par la porte d’entrée « grand public », qui sont plus « bisounours  ».

Êtes-vous contre la violence parce qu’elle n’est pas efficace ou parce qu’elle révulse la société française ?

Je ne sais pas si elle révulse tant que ça la société, on a vu avec les bonnets rouges qu’une partie d’entre elle acceptait des comportements violents... Mais je crois en effet que sur le long terme, un mouvement qui veut contester le système – et qui s’expose donc à une vive répression donne beaucoup moins de prise à cette répression s’il s’inscrit dans une logique non-violente. Je peux comprendre les gens qui ont recours à la violence. Mais mon expérience fait que je crois que la stratégie la plus efficace est la non-violence.

Vos premiers engagements pour l’indépendance basque se sont fait autour de la lutte armée.

Quand j’étais jeune militant à la fin des années 70, tout indépendantiste basque était pour la lutte armée. Mais à l’époque, cette lutte armée bénéficiait d’un soutien de masse et elle avait remporté des victoires concrètes, comme la non-ouverture de la centrale nucléaire de Lemoniz.

Sur la durée, la violence amène une évolution dans les mentalités et dans les rapports humains : dans les logiques d’affrontement militaire se créent des climats de méfiance et de fermeture - une méfiance justifiée, on a peur d’être infiltré - donc on est beaucoup plus fermé par rapport à des gens qu’on connaît moins bien. Il se crée une part clandestine dans le mouvement, on ne peut plus discuter de tout devant tout le monde. Des choses sont dissimulées, des enjeux stratégiques échappent au débat : cela devient moins démocratique.

Et puis il y a cette logique un peu virile de l’affrontement, avec de l’adrénaline, quand on a un cocktail molotov ou une barre de fer entre les mains… Ça sélectionne des types de militants et ça en écarte d’autres. Et sur le long terme, cela transforme le mouvement.

Je n’ai jamais condamné la violence. Mais je pense que les stratégies violentes sont contre-productives. Je demande le respect des choix de stratégie de chacun : une manifestation non-violente avec des milliers de personnes où quelques-uns viennent pour casser des vitrines, ce n’est plus une manifestation non-violente. Et la violence donne prise à la criminalisation des médias et de l’Etat.

La manifestation du 22 février 2014 à Nantes contre Notre-Dame-des-Landes a mis au jour ce désaccord sur l’utilisation de la violence : comment aviez-vous ressenti l’événement ?

La manifestation était censée être pacifique. Et je me suis retrouvé dans une manif où, à côté de moi, des gens en cagoule lançaient des choses sur des policiers, bombaient les édifices publics ou bancaires, balançaient des cocktails molotov sur des engins de chantier.

Qui a choisi cela ? Dans quelle assemblée cela a-t-il été délibéré ? Quelle majorité l’a décidé ? Si un parti politique était arrivé avec 300 militants munis de banderoles et de drapeaux partout, on aurait gueulé à la récupération politique. Et là, quelques-uns arrivent avec une intention précise et qui donne une image totalement différente de la manifestation. On n’aurait pas le droit de critiquer cela ? Je ne dis pas que la stratégie imposée par des cagoulés est fausse. Je dis qu’elle ne doit pas s’imposer comme cela. Car oui, j’ai vécu l’événement comme quelque chose de tout à fait anti-démocratique.

Vous luttez contre la fatalité : celle du réchauffement climatique, et celle qui pourrait mener à la violence…

Regardez en Espagne : le mouvement des Indignés été un mouvement massif, radical et non-violent – même devant la répression. Une non-violence à 100 % : personne n’avait le droit de casser des vitrines, sinon les gens s’interposaient tout de suite. Et quand les flics sont arrivés à Barcelone et ont délogé les manifestants avec une grande brutalité, les gens réagissaient par la non-violence. Ils ont par la suite monté des stratégies inspirées d’Alinsky, notamment, avec le soutien aux locataires qui se faisaient expulser, etc. Et petit à petit, Podemos s’est créé et en un an à peine, ce parti est en train de passer devant le parti au pouvoir.


Je ne sais pas où cela aboutira, mais cela traduit l’efficacité du travail d’organisation. En France, il faut revoir complètement les manières de travailler. Il n’est pas normal de voir autant de cheveux blancs et aussi peu de jeunes, dans la gauche au sens large, alors que l’extrême-droite les attire beaucoup plus facilement… Il faut que les gens y réfléchissent vraiment.

C’est ce qu’on essaye d’appliquer à Alternatiba, où depuis le début, on travaille avec des méthodes, on forme les gens, avec une organisation rigoureuse, on apprend la ponctualité pour les réunions, avec un ordre du jour, un minutage des points, avec une méthode d’animation… C’est aussi cela qui nous fait croire à la capacité militante de changer les choses.

- Propos recueillis par Barnabé Binctin pour Reporterre


Voir en ligne : Reporterre - le quotidien de l’écologie

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