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Vers une République autoritaire !

jeudi 7 janvier 2016


03/12/2015

Vers une République autoritaire !

Par Christophe VOILLIOT

Christophe VOILLIOT sera parmi nous en janvier 2016 salle Debussy pour débattre sur ce thème

Dans un article publié sur le site Indiscipline, Christophe Voilliot, maître de conférences en science politique, met en évidence la « conversion d’une majorité des professionnels de la politique et des élites administratives aux attendus et aux prérequis d’une gouvernementalité autoritaire ». Il nous alerte aussi sur ce qui pourrait prendre la forme d’ un « état de siège moral ».

Depuis les attentats de janvier et de novembre 2015, « La République » apparaît comme le plus petit commun dénominateur des discours sur la chose publique et le devenir national. L’erreur serait sans doute de penser aujourd’hui que cette adhésion massive est la conséquence mécanique d’un ressentiment - que l’on pourrait comprendre à défaut de le justifier - face à la violence radicale qui surgit dans notre quotidien. Ce consensus flou autour de « La République » est le fruit d’une lente conversion d’une majorité des professionnels de la politique et des élites administratives aux attendus et aux prérequis d’une gouvernementalité autoritaire. Précisons toute de suite le sens de ce qui va suivre : je n’adhère pas à une variante quelconque des théories du complot qui ferait de cette conversion un projet pensé et organisé comme tel et dont il faudrait par conséquent traquer les responsables. Ce qui se dessine aujourd’hui n’est que le produit d’une dérive dont certains symptômes ont déjà été mis en lumière avant les attentats parisiens et dyonisiens par des observateurs lucides de la vie politique et intellectuelle1. Face aux défis multiples de la crise économique et sociale, de la crise environnementale et des aspirations démocratiques des peuples, la gouvernance néo-libérale évolue aujourd’hui très distinctement dans un sens autoritaire. « La République » défendue par Hollande, Valls et consorts n’est que la version tricolore d’un processus plus large2.

Cette République autoritaire prend aujourd’hui la forme de l’État d’urgence3 qui, s’il est patiemment reconduit, se traduira par une formidable régression des libertés publiques. En effet, comme le souligne Danièle Lochak, professeure émérite de droit public interrogée par le journal Le Monde : « L’expérience montre que les textes votés en période de crise ont tendance à devenir permanents. Les décrets-lois adoptés à la veille de la seconde guerre mondiale ont ainsi imprimé durablement leur marque sur la législation française, notamment dans le domaine des étrangers »4. Il en est allé de même de la Cour de sureté de l’État, juridiction d’exception instaurée dans le prolongement de la guerre d’Algérie pour, déjà, lutter contre le terrorisme et qui ne fut supprimée qu’après l’élection à la présidence de la République de François Mitterrand. Il n’est d’ailleurs pas inutile de relire aujourd’hui les débats à l’Assemblée nationale du 17 juillet 1981, le plaidoyer assez pitoyable de Philippe Seguin pour le maintien de cette juriction, les fortes paroles de Robert Badinter et surtout celles de Gisèle Halimi : « Nous faisons un pari. Le pari de surmonter nos crises et nos difficultés, si nous en avons — et nous en aurons — autrement que par l’exorcisme d’une procédure d’exception »5.

L’État d’urgence c’est d’abord la revanche de la police face à la justice, revanche de ceux qui revendiquent l’usage illimité des contraintes par corps contre l’application du droit. L’État d’urgence c’est ensuite l’opprobre lancée contre tous ceux suspectés de ne pas adhérer assez vigoureusement à la lutte contre les ennemis de l’intérieur. Céline Berthon, représentante du Syndicat des commissaires de la police nationale, peut ainsi tranquillement assurer le Syndicat de la magistrature « de son plus profond mépris » car « il est l’allié objectif de tous les terrorismes »6. L’Etat d’urgence c’est enfin la généralisation de la surveillance invasive et de l’arbitraire policier comme technologies de gouvernement. S’agit-il aujourd’hui de menaces théoriques ? Malheureusement non ; en témoignent par exemple les perquisitions et les assignations à résidence dont ont été victimes des militants liés aux mobilisations pour la COP21 le jeudi 26 novembre7 et les brutalités policières place de la République à Paris le dimanche suivant8. Cette situation semble réjouir notre premier ministre : interrogé par les journalistes d’Europe n°1 le mardi suivant, il n’a pas exclu la prolongation sine die de l’Etat d’urgence estimant qu’il « est là précisément pour protéger nos libertés »9, prolongation qui pourrait d’ailleurs nécessiter une révision de la constitution.

Que le peuple se rassure ! Il lui reste le droit de vote que François Hollande a d’ailleurs soigneusement refusé d’étendre aux étrangers résidents en France comme il s’était engagé à le faire avant son élection en 2012. L’organisation aux dates prévues des élections régionales est-il pour autant le signe d’une démocratie maintenue ? Croire que la démocratie se résume à l’organisation périodique d’élections concurrentielles serait une grave erreur de perspective. Peut-on faire fi de la liberté de se réunir, de manifester, de faire grève, de circuler, d’émettre des opinions non conformes à la doxa néo-libérale et sécuritaire ? Il semble que oui à en croire nos gouvernants qui, au nom de ce qu’ils nomment fort à propos « la demande de sécurité » s’apprêtent à piétiner avec allégresse nos droits, pas les leurs, les nôtres !

Cette « demande de sécurité » est une construction ad hoc qu’il est nécessaire de démonter tant qu’il est possible de le faire. Nous vivons dans un État qui dispose d’un monopole de la violence légitime, au sens wéberien du terme. Ce monopole n’est acceptable que tant qu’il s’exerce contre les différentes formes de violences privées d’une manière proportionnée aux atteintes aux personnes. Un monopole, si l’on file la métaphore économique, ne s’appuie pas sur une demande préalable : il la contrôle et la manipule au besoin pour justifier son renforcement par et pour tous ceux qui tirent profit de son exercice. Soyons très attentif par conséquent aux graduations que les différents segments de l’appareil d’État sont susceptibles d’impulser à ce monopole, au mépris ou en s’appuyant sur les évolutions liberticides toujours possibles du droit.

Ceux qui nous gouvernent sont manifestement engagés aujourd’hui dans une double impasse. D’un côté, ils s’adonnent sans compter (et sans réfléchir aux conséquences) aux délices de l’impérialisme en multipliant les « opérations extérieures » qui ne sont que la version actualisée de la politique de la canonnière d’antan ! De l’autre, ils façonnent dans l’hexagone une politique que l’on pourrait qualifier de rétro-coloniale10 en érigeant en danger absolu les flux migratoires et les croyances religieuses qui ne sont pas inspirées par nos prétendues « racines chrétiennes ». C’est bien entendu la peur de l’autre, de l’étranger, de l’immigré, de l’ex-colonisé, qui est le substrat de cette politique.

En juin 1848, les ouvriers parisiens furent écrasés par les sabres et les canons d’une armée dont une monarchie bourgeoisement apeurée avait auparavant encouragé et financé les comportements criminels en Algérie. Là suite on la connaît et, comme souvent, Marx trouva les mots pour signifier l’événement et caractériser l’évolution de l’histoire. À propos des provinces ébahies par la violence déclenchée dans les rues de Paris par la « fraction républicaine de la bourgeoisie », il évoqua un « état de siège moral »11. Nous en sommes là aujourd’hui : vers une République autoritaire dont nous avons plus à craindre qu’à espérer.

Christophe VOILLIOT
Maître de conférences en science politique
Université Paris Ouest Nanterre

Publié initialement sur le site Indiscipline : http://indiscipline.fr/vers-une-republique-autoritaire/



État d’urgence : la France demande officiellement à déroger aux Droits de l’homme

27 Novembre 2015

Ce que cela signifie : cela signifie que le gouvernement français ne souhaite plus être contraint d’appliquer certaines règles des droits de l’homme au nom de l’état d’urgence.

Il y a les articles des droits de l’homme auxquels aucun pays ne peut échapper, les articles 2, 3, 4 et 7 : « Article 2 (droit à la vie), article 3 (interdiction de la torture, article 4 (paragraphe 1, ni esclavage ni servitude) et article 7 (pas de peine sans loi) de la CEDH« .

Mais les dérogations peuvent concerner « la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association (article 11), le droit à un procès équitable (article 6), ou encore le respect de la vie privée (article 8). C’est comme ça comme ça que l’état d’urgence peut justifier des assignations à résidence, des perquisitions sans contrôle judiciaire, ou pourrait demain justifier des saisies de données privées sur les serveurs de services en ligne« .

Bref, on est mal… Surtout qu’au niveau liberté de réunion, dérogations ou pas, le gouvernement a déjà imposé sa décision, cela tourne déjà à la « répression des mouvements sociaux« .
Slogan des héros de la résistance de la seconde guerre mondiale


Dans le cadre de l’État d’urgence, la France a notifié le mercredi 24 novembre à la Cour européenne des droits de l’homme son intention de déroger à certains des droits garantis par la Convention européenne (CEDH) et par le droit de l’ONU. Juridiquement, de telles dérogations sont possibles. Mais pas sans conditions ni limites.

La phrase avait fait bondir sur les réseaux sociaux en janvier 2015 dans le contexte des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher de la Porte de Vincennes, mais elle est juridiquement exacte. Interrogée sur RTL, l’ancienne ministre Valérie Pécresse, qui avait été la première à parler de la nécessité d’un « Patriot Act à la française » (une expression depuis reprise par Laurent Wauquiez à la suite des attentats de Paris), avait prévenu qu’il était possible de déroger à des droits prévus par la Convention Européenne des droits de l’homme (CEDH).

C’est tout à fait vrai, et la proclamation de l’État d’urgence qui a été prorogé pour 3 mois et étendu à de nouvelles mesures montre que la France ne voit pas d’obstacle. Mais le gouvernement ne peut pas faire tout et n’importe quoi sans violer ses engagements internationaux.

Mise en danger de la vie de la nation

En vertu de l’article 15 de la CEDH, les états membres du Conseil de l’Europe, dont fait bien sûr partie la France, peuvent « prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international« , et ce uniquement « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation ».

Il faut donc qu’elle proclame officiellement une situation de guerre (ce qui ne se fait plus jamais), ou qu’elle justifie d’un véritable « danger public menaçant la vie de la nation« . Il y aura débat pour savoir si les attentats de Paris aussi choquants soient-ils peuvent menacer jusqu’à la vie de la nation elle-même, mais la Grande-Bretagne l’a déjà considéré lors des attentats de Londres. La France peut donc théoriquement déroger à des droits de la CEDH avec l’état d’urgence.

Cependant ces dérogations doivent d’abord être motivées dans une déclaration auprès du Conseil de l’Europe, et avoir une durée limitée fixée par la déclaration. Cette déclaration a été faite le mardi 24 novembre.« La menace terroriste en France revêt un caractère durable, au vu des indications des services de renseignement et du contexte international (…) De telles mesures sont apparues nécessaires pour empêcher la perpétration de nouveaux attentats terroristes », justifie le gouvernement français, qui n’explicite pas à quels droits il entend déroger.

Mais tous les droits garantis par la CEDH ne peuvent pas faire l’objet de dérogations. Certains des droits reconnus par le texte sont dits « indérogeables ». Il s’agit du droit à la vie, qui peut toutefois être sacrifié pour tuer des combattants de guerre (à condition que la guerre soit officiellement déclarée), de l’interdiction de la torture, de l’interdiction de l’esclavage, et du principe de légalité des peines qui veut qu’on ne condamne pas quelqu’un pour quelque chose qui n’était pas une infraction au moment de l’acte.

DÉROGER, OUI, MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT

A contrario, tous les autres droits prévus par la CEDH peuvent donc faire l’objet de dérogations. Y compris, donc, la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association (article 11), le droit à un procès équitable (article 6), ou encore le respect de la vie privée (article 8). C’est comme ça comme ça que l’état d’urgence peut justifier des assignations à résidence, des perquisitions sans contrôle judiciaire, ou pourrait demain justifier des saisies de données privées sur les serveurs de services en ligne.

Néanmoins, l’article 15 de la CEDH dit bien que ces dérogations doivent aussi être compatibles avec « les autres obligations découlant du droit international« , donc par exemple avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiquesde 1966, qui connaît davantage de droits intangibles (article 4), tels que la liberté de pensée, de conscience et de religion.


État d’urgence : la France va déroger à la Convention européenne des droits de l’homme


Article complet : Numerama.com via Sott.net

Des documents officiels sont disponibles sur le site Nextinpact.com pour ceux souhaitant aller plus loin au niveau de cette information.

via les M.E.


Commentaire : Et oui, les Droits de l’Homme c’est ça, on choisit à la carte, on fait sa tambouille suivant les contraintes ou les opportunités du moment. Donc, on le sait maintenant, un droit est un droit sauf quand on décide, en utilisant un autre droit qui nous donne le droit de défaire le premier droit, celui qui nous ennuie un peu par sa droiture, que ce n’est plus cas...

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